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Association Française des Pilotes de Montagne


Henri GIRAUD
Atterrissage au Mont Blanc
23 JUIN 1960

  

  

 AVIANEWS 1975
Geneviève FULCHER 

  

  

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Mont Blanc - 1er plan: Lac de Roselend

 

Henri Giraud a vaincu le Mont-Blanc
L'événement n'est pas de ceux qu'il faut laisser sombrer dans l'oubli.

L'exploit s'est décanté de son aura d'actualité à sensations, et nous revient, dénudé, prêt à rejoindre dans l'Histoire le Suisse François Durafour qui posa son Caudron G-3, le 30 juillet 1921 à 7 h, au col du Dôme, sous le sommet de ce même Mont-Blanc.

C'est mon dix-millième atterrissage au Mont-Blanc.
Depuis deux ans, je n'ai cessé de l'exécuter en pensée.  Aujourd'hui, tout est simple.
Ainsi s'exprime Henri Giraud, le soir du 23 juin 1960, après son plus grand exploit.

Ah ! ce Mont-Blanc...écrit-il,la haute mission d'exemple que je m'étais fixée m'interdisait d'échouer.
Tout au fond de ma vieille carcasse, la même petite voix me disait alternativement : il faut le faire et c'est impossible... Il faut avoir préparé la manouvre et même la fausse manouvre.
Du côté du Rocher de la Tournette, il y a un épaulement, ce qui permet un christiania de 90° pour arriver pile sur le Mont-Blanc.  Si l'on est trop court à l'arrivée, on retombe de 2.500 mètres sur le dos.»

En survolant la vallée du Grésivaudan, où serpente l'Isère et qui s'étale entre la chaîne de Belledonne et la falaise abrupte du Massif de la Chartreuse, on peut découvrir, par beau temps, dans l'azur du matin, la gigantesque épaule blanche du Mont-Blanc.

Le soir, vers l'autre extrémité de la vallée, se profile contre le ciel orangé du couchant une montagne à la forme bizarre, un tronc de pyramide : le Mont Aiguille.  Ces deux pôles, ces deux bastions d'un empire aérien, ce sont les deux plus grandes "premières"  de Giraud.

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A époque où s'organisait le Secours en montagne, il a prouvé ce que l'on pouvait faire avec un avion en ramenant 24 blessés.

Les témoins
    En Savoie, à l'héliport de Gilly, près d'Albertville, le 23 juin 1960, vers 4 h du matin, deux hommes attendent anxieusement l'arrivée de leur pilote d'hélicoptère.
    Ce sont Aimé Mollard, journaliste au "Progrès de Lyon", et un guide de montagne de l'UNCM, Pierre Jeanvoine.

    Les minutes passent : ils apprennent que le pilote a renoncé à cause des difficultés de l'expédition Mais un autre pilote intervient : c'est Jean Moine.  Il est directeur de Fenwick Aviation, agent pour la France d'Agusta Bell.
    C'est bon, dit-il, je vous emmène.    Cela vaut mieux.

    Au moins, lui, l'a déjà fait : poser un hélicoptère au sommet Mont-Blanc, à l'époque où même Alouettes n'avaient pas assez de puissance en altitude pour monter aussi haut ! Jean Moine s'y est posé plusieurs fois.
    Il vient de décider qu'il va rééditer son exploit, autant de fois qu'il sera nécessaire.  Heureusement, son appareil, l'Agusta-Bell G-3 Super-Alpin représente un grand progrès.

Mais Jean Moine est ému. Ses deux passagers le sont aussi.  Aimé Mollard atteint sans doute là les plus grands moments de sa carrière.  De Giraud, il est l'ami, le reporter, le compagnon de vol et le co-pilote avec lequel il s'est posé des milliers de fois sur des glaciers... et deux fois sur le Mont Aiguille, dans le Vercors.
Giraud, à cause de leur amitié, lui a réservé cette mission.  Il doit, au sommet du Mont-Blanc, filmer l'atterrissage.
    Quant au guide, sa présence est nécessaire pour la sécurité des hommes.  Il emporte des cordes, des piolets, tout l'équipement d'une ascension.  Pourvu que l'on n'en ait pas trop besoin !

  

    Giraud a décollé de Grenoble à 4 h. Il est déjà 4 h 45 lorsque Jean Moine décolle à son tour; vingt-sept minutes plus tard, il dépose cette première équipe sur le Dôme du Goûter.

   

  

 

 

 

L'avion de Giraud apparaît, le Choucas, Super Piper du Secours en Montagne.  Son avion porte-bonheur. Le pilote est en vue du Mont-Blanc depuis les 5 h du matin.  Ses amis remarquent qu'il navigue droit vers le Mont Blanc, puis s'attarde le long de ses flancs.  Une bombe fumigène est allumée du sommet du Dôme pour donner la direction du vent.  Bientôt Giraud se pose au col du Dôme, là où Durafour s'est posé en 1921, à 4.200 mètres.

Le deuxième hélicoptère se pose à son tour, un Giovani Agusta, piloté par Jacques Pététin.  Celui-ci est un ami du préfet de Haute-Savoie, M. Jacquet.  Il est allé réveiller ce dernier en lui disant qu'il l'emmenait au Mont-Blanc.
Le préfet, homme très sportif, a accepté, mais il ne sait rien de l'expédition de Giraud : on lui a réservé la surprise.  En mettant pied à terre, il est d'autant plus stupéfait, électrisé par cette tentative.  Avec lui descend un jeune homme de 24 ans, fils d'Emile Brémond, le Président-Directeur-général du "Progrès de Lyon" un passionné d'aviation.

Jean Moine entreprend alors de transporter ces hommes au sommet du Mont-Blanc.  La portance diminuant, il ne peut embarquer qu'un seuil passager à la fois : Giraud, Jeanvoine, Mollard et le préfet.  L'hélicoptère de Jacques Pététin ne peut pas monter aussi haut.

Pour Giraud, opération primordiale : il s'agit d'inspecter le terrain et de déterminer l'aire d'atterrissage.  Ce terrain, que de fois ne l'a-t-il pas scruté d'avion depuis deux ans !

L'arête du Mont-Blanc est très aiguë.  Elle ne comporte qu'un seul méplat, d'une longueur maximale d'environ 20 mètres.  Giraud choisit une surface très inclinée, où la neige n'est pas trop croûtée ni vaguée.  Deux bandes noires sont tracées sur le sol à l'aide de poudre de charbon..qui provient de la cave de Mollard !

Giraud décolle, passe à la verticale de la piste, fait un tour du sommet.  Il remarque qu'un vent de face, donc rabattant, et d'environ 20 km/h s'est levé.  C'est mauvais.  Chacun se pose alors la question cruciale : l'exploit est-il réalisable ? Ils vont laisser partir leur ami ! Le verront-ils périr sous leurs yeux ?

Il fait très froid, -10°, mais le temps est splendide.  La neige est poudreuse.
"Les conditions sont parfaites, je réussirai" a dit Giraud à Jean Moine qui, lui, pilote, ne l'a pas cru.  L'atterrissage lui paraît impossible et la confiance de Giraud ne peut vaincre son angoisse.  Mollard, par contre, fait preuve d'une confiance absolue.  Il a besoin de tout son sang-froid pour préparer ses appareils et ses pellicules.

Giraud se présente.  Il touche le sol à l'endroit même qu'il a désigné du talon.  Mais l'avion arrive à toute vitesse, rebondit trois fois, puis franchit le bord de l'abîme, où il disparaît côté Chamonix.  Jean Moine, qui assiste à la scène des commandes de son hélicoptère, a le frisson.  Au sol, les témoins sont horrifiés: ils ne voient ni n'entendent plus rien.  Le lourd silence se prolonge terriblement.  Car ce n'est que cinq minutes plus tard que l'avion fait sa réapparition !
"J'étais trop long, devait expliquer Giraud.  J'allais trop vite.  Je l'ai compris aussitôt.  J'ai préféré remettre toute la gomme pour me représenter".

Les skis touchent à nouveau avec la même précision mathématique, dans les traces précédentes, mais moins vite.  Le Choucas rebondit.  C'est à cause d'une croûte.  Puis il accomplit un christiania de 90'.  Les trois hommes présents se précipitent pour saisir l'aile, les haubans de l'avion dont le moteur tourne encore.

"Il faut s'appeler Giraud ! "   s'écrie Aimé Mollard.

Giraud descend.  Ces hommes sont fous de joie.  Une sorte de cérémonie s'organise.
C'est un tableau photographié par Aimé Mollard et qui paraît le lendemain matin, 24 juin 1960, dans le "Progrès", avec huit colonnes à la une.

Image de la confiance en soi et du triomphe, Giraud brandit son drapeau tricolore; il semble comme enraciné dans ce sol qu'il vient de conquérir .Devant lui, le préfet, au garde-à-vous ,lui rend hommage et s'incline devant les couleurs française hissées à 4807mètres.

          Pages Henri Giraud:

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Sommet du Mont Blanc 4807m - Dôme du Gouter à droite

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         23 Juin 1960 au sommet du Mont Blanc

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__  ____ Sommet du Mont Blanc
 

Dans le ciel, le Jodel du "Progrès", piloté par le colonel Dardaine, bat des ailes.  A son bord se trouve un ami intime de Giraud, écrivain et alpiniste chevronné, le Président National du Secours en Montagne, Félix Germain.  Les deux hélicoptères sont dans les airs.
Mais pour repartir, il faut que Giraud tourne son avion. Le compas indique le sud : l'avion fait face à l'Italie.
- Deux crans de volets ,toujours en montagne.
- L'essence : les réservoirs n'ont été remplis qu'à moitié, maintenant, il en reste un tiers.
- Le flettner en position légèrement cabrée.
Et c'est le geste puissant et dominateur de l'envol : les gaz.  Pleins gaz !
La croûte glacée qui l'a fait rebondir à l'atterrissage lui coupe la piste, il saute par-dessus, ce qui est possible avec l'élan de la descente. Le moteur n'a plus que la moitié de sa puissance à cette altitude, et la voilure la moitié de sa portance.  C'est l'abîme, le vent dont les trombes glaciales se déversent à une allure hallucinante vers le bas, le long des flancs de la montagne.
Toujours pleins gaz, il faut  piquer, comme après un décrochage.  Chevaucher le vent, s'identifier à lui.  Il se laisse ainsi glisser pendant trois cents mètres de plongée, tandis que le vario accuse constamment une perte d'altitude d'au moins 15 m/s.

Flash back
J'ai demandé à Henri Giraud de commenter ce qu'il avait écrit et d'essayer de retracer ses propos.
Il n'y a pas seulement l'atterrissage,dit-il,il y a l'approche . Moment grave, car c'est celui de la décision.  Imaginez une montagne de glace, en lame de couteau, avec des deux côtés, un abîme de 2.500 à 3.000 mètres.
On arrive au-dessus d'une croûte italienne, chevauchant des roches.  A cet endroit là, on peut encore faire demi-tour, mais, une fois les rochers dépassés, en face de la pente de glace, c'est fini.  C'est la minute de l'engagement, avec, devant soi, une immense armure scintillante.  Le pilote avance un pion de plus sur l'échiquier de l'invisible : sa vie. "Je l'ai fait" ,dit-il avec simplicité. Jamais personne d'autre jusqu'à présent. L'échec, c'était la mort.
« Il faut arriver à 140 badin, oui, et même 150, en piquant face à la pente, et, pour être tangentiel à la neige, descendre d'une soixantaine de mètres. A ce moment, les skis doivent toucher la pente, presque la paroi,et la difficulté a pris une proportion telle,même pour Henri Giraud, qu'il a prononcé le mot de "diabolique".Ce mot, Il n'est pas donné à n'importe qui d'en saisir l'horreur de ce jour-là.  Cette acception s'est enflée à la mesure du Mont gigantesque qui, ramassé comme une force maléfique, attend l'insecte qui l'affronte.

Ce qui est de diabolique, c'est aussi la difficulté de doser les gaz : pas assez de gaz, trop court à l'arrivée; on retombe, l'avion se retourne sur le dos pour chuter dans l'abîme.  Trop de gaz, trop de vitesse, trop long: en arrivant au sommet, on est éjecté de l'autre côté. "On efface le Mont-Blanc".  Il faut donc être ni trop court, ni trop long, Comment ?   Par dosage, comme le sel dans les plats, précise Henri Giraud.

Du côté du rocher de la Tournette, il y a un épaulement... C'est au sommet de cette pente que se trouve le Dôme, et pour l'atteindre, Il faut faire un christiania de 90' sur la gauche : je suis arrivé juste au bord, avec une aile inclinée au-dessus du vide, du côté italien.  Je ne voulais pas couper les gaz, c'est pourquoi les témoins se sont précipités.

Une conclusion d'Henri Giraud à l'emporte-pièce : " La plupart des gens n'utilisent pas plus de 10% des capacités de leur cerveau ! Vous connaissez maintenant une méthode pour un meilleur rendement de vos capacités cérébrales ! A bon entendeur... Rendez-vous au sommet du Mont-Blanc !  "

 

 

 photos jp Ebrard